La Sainte-Face : une tradition, une chapelle, une confrérie, un patrimoine.

La Sainte-Face présentée par sainte Véronique – détail d’une peinture du XVIe siècle – Trésor de la collégiale
« VIe station : Véronique essuie le visage de Jésus ». Cette station du chemin de croix est ancrée dans la tradition populaire. Alors qu’il portait sa croix, Véronique s’approche de Jésus pour lui essuyer le visage. En « remerciement », le visage de Jésus restera imprimé sur le tissu utilisé. Il est conservé à Rome.

Sainte Véronique sur une peinture du XVIe siècle – Trésor de la collégiale
Si cet épisode est bien connu et bien documenté dans l’iconographie chrétienne, les évangiles officiels n’est font pas mention.
Pourtant, la sainte Face, comme le tissu est désormais connu, est particulièrement vénérée.
Ainsi, en 1550, une confrérie de la Sainte-Face est érigée en la collégiale Sainte-Waudru. En 1656, le pape Alexandre VII accordera, par une bulle, des indulgences aux consœurs et confrères de la Sainte-Face établis en Sainte-Waudru. Au XVIIIe, Charles de Lorraine fera de la confrérie une « confrérie royale ». Quant aux chanoinesses, dont beaucoup s’inscriront dans la confrérie, elles mettront à la disposition de la confrérie une chapelle de leur collégiale qu’elles feront soigneusement décorer ; chapelle dont le mobilier sera détruit lors des troubles de la fin du XVIIIe.
La confrérie de la Sainte-Face subira la Révolution française et ne reprendra de véritables activités que dans la dernière partie du XIXe. L’évêque de Tournai, Mgr Walraevens, par un décret du 16 septembre 1898, réérigera canoniquement la confrérie de la Sainte-Face.
Le but de la confrérie était « d’offrir à Notre Seigneur une juste réparation pour les outrages et les blasphèmes dont sa personne adorable est aujourd’hui l’objet[1] ».
Les indulgences reçues d’Alexandre VII en 1656 étaient réparties en trois catégories[2].
- Les indulgences plénières (le jour de l’entrée dans la confrérie, le jour de Noël, à l’article de la mort).
- Les indulgences de 7 ans et 7 quarantaines (le jour de la Circoncision, le jour de l’Annonciation, le 2e dimanche de juillet [fête de la confrérie] et le jour de l’Assomption).
- Les indulgences de 60 jours (chaque fois que l’on assiste à un office en la collégiale, chaque fois que l’on loge des pauvres, chaque fois que l’on apaise des querelles ou inimitiés, chaque fois que l’on assiste aux funérailles d’une consœur ou d’un confrère, chaque fois que l’on assiste aux processions, chaque fois que l’on accompagne le Saint-Viatique, chaque fois que l’on récite 5 Pater et 5 Ave pour les confrères décédés, chaque fois que l’on enseigne les choses de la religion ou chaque fois que l’on pratique une œuvre de charité ou de pitié).

Affiche annonçant la fête de la Sainte-Face du 12 juillet 1896
La fête de la confrérie se célébrait le 2e dimanche de juillet. A cette occasion, une relique de la sainte Epine était exposée sur l’autel de la confrérie. Cette relique, présentée dans un reliquaire de 1787, était conservée en l’abbaye d’Epinlieu jusqu’à la Révolution française. Elle a ensuite été achetée par quelques paroissiens de Sainte-Waudru et offerte à la collégiale. Elle fait donc, depuis le début du XIXe, partie des collections du Trésor de Sainte-Waudru.
D’autres fêtes étaient particulièrement observées par la confrérie de la Sainte-Face : la fête du Saint Nom de Jésus (au XVIIIe, le deuxième dimanche après l’Epiphanie ; désormais le 3 janvier) ; celle de l’oraison de Notre Seigneur au jardin des oliviers, le mardi après la septuagésime, celle de la couronne d’épines, le premier vendredi de carême et celle du précieux sang de Notre Seigneur (le premier juillet).
Reconstituée canoniquement en 1898, la confrérie avait déjà repris ses activités bien avant. Ainsi, il existe une affiche qui annonce la fête de la Sainte-Face le 12 juillet 1896.
On y lit : « A onze heures, Messe Solennelle en Musique, avec accompagnement d’orchestre, exécutée par la Chorale Ste Waudru ; A 7 ½ heures, SALUT SOLENNEL EN MUSIQUE, par la même chorale ».

Reliquaire de la sainte Epine – daté de 1787 – repris dans le Trésor de la collégiale
Un peu plus loin sur l’affiche, il est précisé : « Une des épines de la couronne de N. S. donnée autrefois par Saint Louis[3], roi de France, à Marguerite, comtesse de Hainaut, sera exposée toute la journée sur l’autel de la Sainte Face, et vénérée après chaque office[4] ».
Venons-en à la chapelle de la Sainte-Face telle que nous la connaissons.

La chapelle de la Sainte-Face en 2024
L’autel de la chapelle (un des deux portiques d’accès au déambulatoire avant le XIXe) est pourvu d’une peinture de la deuxième moitié du XVIe dédiée à la Cène. Une grande peinture exposée sur un mur latéral a pour sujet « Sainte Véronique présentant l’image de la Sainte-Face ». Et le vitrail montre le moment où Véronique rencontre Jésus lors de son chemin de croix.
Mais l’autel de la chapelle, comme il est possible de le voir sur une photo prise en 1942 et conservée dans la photothèque de l’IRPA, n’a pas toujours été composé de la sorte.
En effet, en tableau d’autel, c’est la peinture du XVIIe, probablement offerte par les familles de Lescoves, Clemens, du Bruecquet et de Solbroeucq, qui a longtemps été mise en évidence. Jusqu’au moins 1942, le tableau est resté en place. Par la suite, une Cène a été intégrée au retable et le tableau consacré à la Sainte-Face fut placé sur le mur de la chapelle où il est toujours visible au XXIe.

Véronique et la Sainte-Face – peinture du XVIIe siècle. ©Vincent Rousseau
On y voit Véronique, accompagnée directement par deux anges (l’aidant à soutenir la sainte image) alors que d’autres apparaissent dans le ciel, présentant le voile sur lequel « s’est imprimée la face de Jésus ». Toujours jusqu’en 1942, une plus petite peinture (fin du XVIe) consacrée au même sujet était exposée en la chapelle. Elle est aujourd’hui sécurisée et exposée au Trésor de la collégiale.
En regardant attentivement la photo conservée dans les collections de l’IRPA, on peut remarquer que le tableau était entouré de draperies de velours. De chaque côté, il y avait des ex-voto -probablement en argent ou métal argenté- représentant des cœurs ou des yeux.
De chaque côté de la table d’autel se trouvait, fixé sur une console surmontée d’une statue d’un ange, un cartouche. On pouvait y lire : pour le premier « Hommage de Reconnaissance à la Ste Face pour plusieurs grâces obtenues », et sur le second : « En réparation des Blasphèmes et pour la conversion de pêcheurs ».
Le vitrail de la chapelle présente l’iconographie plus traditionnelle telle qu’on la voit sur les chemins de croix. En effet, Véronique, agenouillée près de Jésus qui la regarde, y est figurée juste après avoir essuyé le visage de Jésus, ployant sous le poids de la croix, sous les quolibets et les coups. Elle tient, et présente, le voile sur lequel apparaît l’image du visage de Jésus.

La bannière de la confrérie de la Sainte-Face
Ajoutons qu’à la sacristie, la bannière de la confrérie existe toujours. Elle n’est malheureusement plus en état de sortir. En son centre, fixée sur un fond de velours rouge, une peinture évoque la Sainte-Face. Des inscriptions, brodées au fil d’or, accompagnées de décors floraux, entourent la peinture : « 1550 1884 CONFRÉRIE DE LA STE FACE RÉPARATION DES BLASPHÈMES[5] »
La confrérie de la Sainte-Face n’existe plus en la collégiale Sainte-Waudru depuis de nombreuses années. Il en reste quelques témoignages écrits ou artistiques. Il suffit d’un peu de temps pour les redécouvrir comme une part non négligeable de l’histoire de Sainte-Waudru !
Benoît VAN CAENEGEM
Conservateur de la Collégiale Sainte-Waudru et de son Trésor
[1] Notice sur la Confrérie Réparatrice de LA SAINTE-FACE de N. S. JESUS-CHRIST, érigée à Mons, en 1550, en l’Eglise primaire DE SAINTE-WAUDRU, troisième édition, Mons (s.d.), p.7.
[2] Idem, p. 12-13.
[3] Voir le vitrail de la chapelle 18 (chapelle du Saint-Sang, voisine de l’entrée de la sacristie) dans lequel est représenté saint Louis au moment où il reçoit la couronne d’épines.
[4] Notons que sur la porte du tabernacle de la chapelle voisine (la 26e) est peint le reliquaire de la sainte Epine datant de 1787 et conservé au Trésor. Peut-on imaginer qu’à une époque ce tabernacle se soit trouvé sur l’autel de la chapelle de la Sainte-Face ?
[5] La date de 1550 correspond à la création de la confrérie en la collégiale. La mention « Réparation des blasphèmes » correspond au but de la confrérie. La date de 1884 doit correspondre à la réalisation de la bannière.
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