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La « croix abbatiale » de retour à Sainte-Waudru en 1805.
Dans les collections du Trésor de Sainte-Waudru, un reliquaire de la Croix est souvent présenté comme étant une croix abbatiale. Peut-être est-ce en raison de son utilisation lors de certaines cérémonies officielles du chapitre de Sainte-Waudru avant la révolution.

Croix abbatiale gravure donnée par Hoyois (Documents pour faire suite …) au XIXe
Ce double reliquaire de la croix date du XIIIe siècle (peut-être de la fin du XIIe). Dans les « Chartes du Chapitre de Sainte-Waudru de Mons », tome 1 (Bruxelles 1899), aux pages 539 et 540, Devillers donne un « Inventaire des reliques et joyaux de l’église de Sainte- Waudru. 1305. Che sont les reliques ki estoient en le glisse medame Saincte Waudrut, l’anée M. CCC. et cync ». On y lit : « Item en une croysete d’argent à IIII bras : si a de le saincte vraie croys ». En note, l’auteur précise : « Cette croix à double traverse, surmontée de deux croix-reliques, appartient encore à l’église de Sainte- Waudru. C’est l’antique croix abbatiale du chapitre ».
Gilles-Joseph de Boussu dans son « Histoire de la ville de Mons, ancienne et nouvelle » en 1725, ne mentionnait pas directement le reliquaire. Dans une liste des principales reliques conservées en la collégiale (p.152 et 153), il évoquait uniquement « du bois de la sainte Croix », sans aucune précision quant à la manière dont cette relique est présentée.

Face avant de la Croix abbatiale © Vincent Rousseau
Lors des troubles qui marquent la fin du XVIIIe siècle (arrivée des troupes françaises), plusieurs personnes se sont « emparées » de quelques pièces conservées dans la trésorerie de la collégiale (actuelle sacristie) dans le but de les sécuriser et de les restituer une fois la situation apaisée.
C’est ainsi que Mme Théodore de Wrtby[1] a pris avec elle sur les routes de l’exil (vers l’Allemagne et/ou vers Prague) le reliquaire de la croix affectant la forme d’une croix à double traverse.
Dans son ouvrage « Documents pour faire suite à l’histoire de sainte Waudru, patronne de Mons, comtesse du Hainaut », Hoyois consacre près de deux pages à ce reliquaire et en donne une gravure très précise. Mais il ne mentionne pas la restitution de la croix grâce à l’intervention d’une ancienne chanoinesse. Il donne dans sa description (inchangée en 2024) les sortes de pierres enchâssées sur la face avant en les « numérotant » de haut en bas et de gauche à droite : « 1, 4 et 9, grenat du Tyrol ; – 2, 3, 5, 8, 10 et 12, émeraudes du Pérou ; – 6,7 et 11, saphir du Ceylan ; – 13, cornaline rouge commune ».
Léopold Devillers, dans son « Mémoire historique et descriptif sur

Face arrière de la Croix abbatiale © Vincent Rousseau.JPG
l’église de Sainte-Waudru, à Mons » en 1857, évoque la croix abbatiale à la page 58 : « Cette croix est tout à la fois remarquable par son antiquité, par la beauté de son travail et par la richesse de ses ornements. Elle est d’argent, rehaussée d’or, et treize pierres fines y sont enchâssées ; elle est surmontée de deux croix-reliques, en agathe d’Oberstein ».
En 1886, l’abbé Lalieu[2], dans son ouvrage « Vie de S. Vincent Madelgaire et de Sainte Waudru son épouse, princes et patrons du Hainaut » (Tournai / Braine-le-Comte, 1886), aux pages 232-233, présente la croix abbatiale en signalant que « quelques membres de la Gilde [de Saint-Thomas et de Saint-Luc de Gand] n’ont pas hésité à l’attribuer au VIIe ou au VIIIe siècle c’est-à-dire à l’époque où l’abbaye bénédictine de Sainte Waudru fut établie par l’épouse de Madelgaire. Elle est par sa forme, par les dessins dont elle est revêtue au revers, d’origine orientale, ou tout au moins imitée sur une croix apportée de l’Orient, à l’époque bysantine (sic) ».

Croix abbatiale – décor de la tranche © Vincent Rousseau
Quant au reliquaire lui-même, il s’agit d’un remarquable travail d’argenterie sur une âme de bois.
Cette croix reliquaire à double traverse présente des extrémités trilobées. La couverture de la face avant est d’argent doré, bordée d’un filigrane strié. Aux intersections, deux croix reliquaires d’argent contiennent des fragments de bois (reliques de la sainte Croix). Treize pierres précieuses ou semi-précieuses sont enchâssées sur le champ uni (grenat, saphir, émeraude, cornaline).
Le revêtement de la face arrière, en partie manquant, est en argent doré traité au repoussé. Des losanges et des ovales y alternent au milieu de volutes. Deux croix marquent les intersections des traverses tandis que les extrémités trilobées sont soulignées d’un cercle.
Sur l’argent de la tranche, l’orfèvre a créé un décor d’entrelacs géométriques au repoussé.
Toute la couverture est fixée par de petits clous, dont certains font défaut.
Le reliquaire « à la double traverse » a longtemps été porté en procession par le doyen de Sainte-Waudru (jusqu’au début des années 1970) mais sa fragilité actuelle (la couverture lacunaire de la face arrière notamment) ne le permet plus. Désormais, la croix reste au Trésor et n’en sort, si la Fabrique de Sainte-Waudru y consent, que pour participer à quelques expositions.
Mais revenons au début du XIXe siècle. Les gestionnaires de la collégiale Sainte-Waudru de l’époque ont appris qu’une ancienne chanoinesse, Madame de Wrtby, s’était rendue dépositaire de la « croix abbatiale » et l’ont contactée afin qu’une restitution puisse avoir lieu.
C’est ainsi que le 18 novembre 1804, les membres du Comité de l’administration de l’église Sainte-Waudru écrivent à l’ex-chanoinesse qui réside alors à Prague : « Madame Vous avez eu la complaisance de vous constituer dépositaire de la sainte Croix appartenant à l’Eglise de Sainte Waudru, et de faire connaître que vous désiriez d’avoir une occasion pour transmettre ce dépôt sacré à cette Eglise dont nous administrons actuellement les biens de la fabrique. Nous avons rencontré, Madame, une occasion sûre dans la personne de Mr. Knapp officier au service de S M l’Empereur d’Allemagne qui doit passer à Pragues (sic) dans quelques semaines. Nous vous supplions Madame, de la lui confier et d’agréer d’avance l’assurance de notre gratitude et des sentiments respectueux avec lesquels nous avons l’honneur d’être, Madame, vos très humbles et très obéissant serviteurs ».
Le 30 janvier 1805, les administrateurs actent dans un rapport le retour de la relique : « Le 27 janvier 1805, l’administration de le fabrique de l’Eglise paroissiale de Ste Waudru à Mons, a reçu de Madame la Comtesse de Wrtby, ancienne chanoinesse du Chapitre Royal de Ste Waudru, la relique de la Vraie Croix, en argent, appartenant à ladite Eglise dont ladite Dame s’était constituée dépositaire au moment de son départ pour l’Allemagne ; laquelle relique fut remise ledit jour à Monsieur Scarsez[3], Secrétaire et membre de ladite administration, par Monsieur Jean Baptiste Chasselet[4] qui en avait été requis par la prédite Dame, par lettre missive datée de Pragues (sic) le 21 décembre 1804, contenant ces expressions « faites moi l’amitié de remettre la relique à Messieurs les mambours de Ste Waudru en leur faisant mes compliments, il me reste la prière à vous faire de m’accuser la réception du paquet ». Le même jour la prédite relique a été déposée es mains de Mr De Ruesne[5] Curé de la Paroisse ».
Voilà comment une pièce importante, propriété du chapitre de Sainte-Waudru, a fait retour à la collégiale sans passer par la case « nationalisation ». La « croix-abbatiale » est désormais à classer comme une des œuvres importantes du Trésor de Sainte-Waudru.
Tout comme ses « consœurs » qui avaient permis le retour des reliques de sainte Waudru en 1803 à Mons, lieu naturel de leur conservation, Mme de Wrtby a, alors que le chapitre n’était plus qu’un souvenir, pensé à l’intérêt qu’il y avait de restituer un bien du chapitre supprimé à la collégiale portant le nom de celle qui avait été, et était peut-être encore, sa sainte Patronne.
Les archives du début du XIXe siècle nous apprennent que ces restitutions d’œuvres cachées à la fin du XVIIIe et au début du XIXe (et donc sécurisées) par les chanoinesses, les chanoines de Saint-Germain, le clergé et les Montois furent assez fréquentes. Preuve que les Montois (inclus les chanoinesses, Montoises « par le cœur en tous les cas ») étaient (et le restent d’ailleurs) très attachés à leur patrimoine et particulièrement à celui de la (leur) collégiale.
Benoît Van Caenegem
Conservateur de la Collégiale Sainte-Waudru et de son Trésor
[1] Théodore de Wrtby avait été pourvue d’une prébende de Sainte-Waudru par lettres du 10 août 1775 et avait été reçue au chapitre le 30 septembre 1776.
[2] Louis-Joseph Lalieu était vicaire de Saint-Nicolas-en-Havré quand il a rédigé son ouvrage. Il est né à Charleroi le 28 octobre 1853 et y est décédé le 8 novembre 1930. Il fut curé de Saint-Nicolas-en-Havré de 1888 à 1899.
[3] Gabriel Joseph Scarsez, avocat, après avoir été membre du Comité de l’administration de l’église Sainte-Waudru de 1802 à 1811, avait été nommé membre du Conseil de Fabrique de Sainte-Waudru le 3 décembre 1810 (première réunion du Conseil de Fabrique le 31 janvier 1811 quand tous les membres furent nommés). Il est né et baptisé à Grandmetz (Leuze-en-Hainaut), paroisse Saint Michel, le 29 juillet 1749 ; il est décédé à Mons le 8 février 1817.
[4] Jean Baptiste Marie Chasselet : né à Mons et baptisé en la collégiale Saint-Germain le 18 mai 1758 ; décédé à Mons, propriétaire, ancien échevin de Mons et célibataire, le 15 avril 1854.
[5] Jean-Baptiste Deruesne est né à Valenciennes le 1er septembre 1775 et est décédé à Mons le 10 juin 1838. Il fut curé-doyen de Sainte-Waudru de 1803 à 1838.